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ET SUR LA POÉSIE LYRIQUE.

les souvenirs d’enfance et de premier séjour, la passion du soleil, du bruit et de la renommée, bientôt l’amour paternel et ses vives tendresses, partout l’éblouissement prolongé de l’Empire et de l’Empereur. Quel que soit le hasard ou le calcul qui réglait ce mélange, c’étaient là les semences de feu que, dans cette fournaise où il forgeait sa pensée, le poëte remuait incessamment et revêtait de mille formes, comme Virgile a peint ces ouvriers divins, lançant pêle-mêle, pour former la foudre, trois jets de pluie tordue, trois rayons du rapide Auster, et la colère avec les flammes qui la suivent :

Très imbris torti radios, tres alitis Austri
Miscebant operi, flanimisque sequacibus iras.

Ainsi, dans les premières Odes, dans les Orientales, dans les Feuilles d’Automne, dans les Voix intérieures ou dans les Chants du Crépuscule, sous la diversité de tous ces noms, et avec les nuances mobiles de l’époque et de la volonté, le torrent lyrique s’épanche et jaillit à grands flots. L’onde est quelquefois plus mêlée, plus trouble dans son cours ; mais elle sort toujours d’une source profonde et brûlante, dont le poëte a pu dire sans trop d’orgueil :

Tout souffle, tout rayon, ou propice ou fatal,
Fait reluire ou briller mon âme de cristal,
Mon âme aux mille voix, que le Dieu que j’adore
Mit au centre de tout, comme un éclat sonore.

Lorsque le talent devance ainsi la réflexion et se confond avec l’éveil même de la pensée par les sens,