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ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

André Chénier, ce martyr de l’humanité et de la poésie, n’avait pas été le seul qui, dans ces premiers jours, en eut éprouvé la puissance. Si la Révolution, en se précipitant, roulait avec elle tout un torrent de scories impures et de flammes, parfois elle avait suscité, dans quelques esprits vulgaires en apparence, un accent de grandeur imprévue. Ce prodige qu’avait vu l’antiquité, ce Tynnichos, dont l’âme un jour inspirée produisit un hymne sublime et rentra dans le sommeil, se renouvela sous nos yeux. Quand la France se soulevait de sa base antique pour repousser les armées étrangères, quand le cri d’alarme avait retenti du Nord au Midi, sous les flammèches qui sortaient de toutes les bouches, le feu prit au cerveau d’un jeune conscrit ; et, dans une nuit, il fit ce chant de la Marseillaise, dont les paroles, la musique et l’action sur les champs de bataille peuvent nous dire ce qu’était la poésie grecque.

Quelle que fût toutefois cette trombe violente qui emportait alors les âmes et leur donnait son souffle pour génie, malgré tout le pathétique de ces tragédies des camps et de la rue, le contre-coup en était pour l’art plus accablant qu’inspirateur. Cette zone de la Terreur était inhabitable à l’imagination paisible. Ce qu’il y avait, par moment, d’énergique grandeur était trop mêlé de mal et de crime pour laisser à la pensée son pur éclat poétique : une fureur turbulente et souvent factice en prit la place, et parut en avoir la puissance.