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ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

l’audace, laissait voir le déclin de l’art sous le prestige même du succès.

Vainement, poëte de théâtre et de cour, Voltaire prétendait-il à la palme de l’opéra. Le seul accent lyrique échappé de sa verve, ce sont quelques vers de son âge déjà mûr, mais après rude épreuve et dans la joie d’une chaîne brisée et d’une liberté reconquise : ce sont ses vers au lac de Genève, à la Suisse, à sa retraite présente, à son indépendance actuelle et future.

Mon lac est le premier ; c’est sur ses bords heureux
Qu’habite des humains la déesse éternelle,
L’âme des grands travaux, l’objet des nobles vœux,
..................
La Liberté. J’ai vu cette déesse altière,
Avec égalité répandant tous les biens,
Descendre de Morat en habit de guerrière,
Les mains teintes du sang des fiers Autrichiens
Et de Charles-le-Téméraire.

Cette Liberté-là valait mieux pour la poésie que la licence souvent impure dont le philosophe de Ferney égaya son vieil âge. Sous ce dernier exemple, l’enthousiasme et l’art se perdaient à la fois ; et c’était ailleurs, dans la prose éloquente, dans la prose pittoresque et passionnée, qu’on les retrouvait encore, pour l’honneur du siècle. Hors de là, une autre influence qui dominait aussi, une influence de scepticisme et de philanthropie, de précision mathématique et de déclamation, était si peu poétique par elle-même que c’est surtout pour la combattre qu’on vit se ranimer quelque feu de poésie. Est-ce par hasard, en effet, que l’au-