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ET SUR LA POÉSIE LYRIQUE.

« Dryden, par la facilité de son génie complaisant et vénal, pouvait encore moins entrer dans la revue prophétique du barde mourant et consoler son sacrifice. Ni Pope lui-même, ni Addison, plus patriote, mais bien moins poëte, ne répondaient à la première pensée de Gray, et ne pouvaient figurer parmi ces inflexibles vengeurs du droit et de la vérité, dont le barde mourant aurait espéré le retour. »

À dire vrai, les martyrs immolés par Édouard, tels du moins que la tradition nous les vante, ne furent pas remplacés dans leur mission de patriotisme lyrique. Ils n’ont pas eu besoin de l’être, Dieu merci pour l’Angleterre, qui, tant de fois envahie dans les commencements du moyen âge, n’a pas vu, depuis sept siècles, la fumée d’un bivouac ennemi ; il n’y a pas eu pour elle l’occasion de cette verve de délivrance nationale, qui, du dix-huitième siècle jusqu’à nous, de Gleim à Körner, a fait revivre dans l’Allemagne moderne les bardes du Nord.

Retranchée derrière son océan et ses flottes, l’Angleterre a été trop heureuse pour être si poétique. Elle a eu l’orgueil de son bien-être, la joie de sa sécurité, inaccessible à l’invasion, et redisant avec Waller : « Les chênes de nos forêts ont pris racine dans les mers ; et nous marchons de pied ferme sur la vague houleuse. »

Ou bien encore ; « Comme les anges du ciel, nous pouvons, d’un vol rapide, descendre où il nous