Page:Villemain - Essais sur le génie de Pindare, 1859.djvu/488

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
480
ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

de sérail discipliné par la mort, à la moindre faute, au moindre revers, un trésor enrichi par les confiscations et le pillage, une armée de janissaires recrutés dans l’élite du sang chrétien pris et fanatisé dès l’enfance, puis cette autre armée de possesseurs turcs payant du service guerrier le domaine qui leur était échu, et défendant le sol comme une proie, tout cela rendait les armes ottomanes égales au moins à celles de l’Europe ; et, devant les divisions et les troubles des États chrétiens, elles semblaient supérieures.

De ce génie des arts, déjà levé sur l’Occident, la Turquie n’empruntait encore que des instruments de force matérielle, l’artillerie, la construction des forts et quelques notions de marine appliquées par des renégats ; mais, loin que la confiance des Turcs fût diminuée par ce besoin de secours étrangers, elle devenait plus ambitieuse et plus hautaine, comme se sentant prédestinée à prendre captive la chrétienté tout entière, avec ses richesses et ses arts.

On n’avait pas oublié le débordement de la conquête turque sous Mahomet II, et comment de Constantinople le sultan menaçait déjà Rome quand la mort l’arrêta. Le long règne de Soliman II accrut ce danger, prit Rhodes, ravagea la Hongrie, humilia l’Autriche, et pesa sur l’Europe comme sur l’Orient. Même sous son obscur successeur Sélim, surnommé l’Ivrogne, l’empire turc, encore dans le torrent de son invasion, allait enlever Chypre aux Vénitiens.