Page:Villemain - Essais sur le génie de Pindare, 1859.djvu/464

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
456
ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

la pensée du Dante, et revient partout dans ses premiers vers, avant d’être divinisée dans son grand poëme. Parmi les canzoni éparses, les complaintes douloureuses et fières dont il sema sa route, il y a surtout une pièce doublement lyrique par la fiction et par le langage. C’est un témoignage du poëte sur lui-même : « Trois dames, » dit-il, « me sont venues, s’approchant de mon cœur et s’arrêtant au dehors, parce qu’au dedans est entré l’amour qui règne sur ma vie. Leurs vêtements sont déchirés ; la douleur, peinte sur leurs visages. On voit que tout leur manque à la fois, et que la noblesse, comme la vertu, leur est inutile. Il fut un temps où, selon leur récit, elles étaient adorées ; mais aujourd’hui elles sont pour tous objet de haine ou d’indifférence. »

Ces trois femmes mystérieuses, que l’amour interroge sur leurs noms, c’étaient la Justice, la Générosité et la Tempérance, persécutées désormais par les hommes et réduites à une vie errante et pauvre. « Et moi », s’écrie le poëte, « moi qui, dans ce divin langage, entends la consolation et la plainte de si nobles bannies, je tiens à honneur l’exil qui m’est imposé. Souffrir avec la vertu est un destin digne de louange. »

Il n’est pas vrai, toutefois, que ces premières chansons du Dante, ces odes passionnées avec diffusion, eussent élevé déjà le grand poëte au-dessus de tous