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ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

nements du langage précédèrent, dans la poésie nouvelle, l’accent de la passion et les élans de l’âme. À peine la langue italienne, sortant toute vive des ruines de l’idiome romain, fut-elle balbutiée par des chanteurs vulgaires, que toutes les affectations de la pensée, toutes les fadeurs de la fausse passion, vinrent gâter l’art des vers : il semblait que la scolastique pesât même sur l’amour. Nous n’avons pas les chansons qu’Abélard fit pour Héloïse, et qui, répétées sur les places publiques et dans les écoles, trahirent les deux amants. Celle qui en était l’objet en a loué seulement avec orgueil la douceur passionnée et le charme musical ; c’étaient pour elle des odes, comme Horace en adressait à Lydie.

Ce titre poétique d’Abélard s’est perdu dans ses querelles, ses malheurs et sa pénitence. Il n’en est pas ainsi de ses contemporains d’Italie. Leurs chants d’amour se conservaient accueillis par l’admiration ; leur art était déjà célèbre et tenait lieu de naturel et de vérité. Des chefs de parti, des hommes mêlés aux factions de Florence, vainqueurs ou dans l’exil, chantaient les douleurs et les joies d’une passion qu’on pourrait souvent croire imaginaire, tant les expressions en sont discrètes jusqu’à l’obscurité. Ce n’est pas l’élégance et l’harmonie de Pétrarque ; c’est déjà quelquefois sa recherche d’esprit. Guinicelli, Guido Cavalcanti, n’ont de lyrique dans leurs canzoni que la forme des stances et l’enlacement des vers.