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ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

Le goût, le choix, ne faisaient pas vivre cette poésie. Mais, partie souvent du cœur, elle en eut la puissance. À elle appartenait ce premier âge des troubadours, qui sécularisa l’esprit en Europe, suscita devant l’Église une autre puissance d’opinion, commença le débat de la pensée libre contre le plus fort, et forma dans le midi de la France une race de chanteurs hardis et de poëtes populaires.

Ce qui domine la foule devient bientôt un instrument pour le pouvoir. Dans cette société inégale du moyen âge, le prince, le seigneur châtelain, le chevalier, touchèrent par un côté aux plaisirs les plus délicats du peuple ; ils firent des chansons pour lui.

La hiérarchie des rangs se retrouvait dans celle des esprits. Souvent le noble troubadour, le trouvère, parcourant les villes et les châteaux, avait avec lui son chanteur subalterne, comme le chevalier avait son écuyer, et comme jadis dans la Grèce le poëte avait eu son rapsode.

Ainsi, non par l’imitation d’exemples ignorés, mais par une rencontre naturelle, la politesse sociale renaissait parmi nous, sous ces mêmes influences de chants et de poésie que les anciens regardaient comme ayant civilisé le monde. Un seigneur guerrier, Guillaume, comte de Poitiers, commençait dans sa cour féodale ces chansons d’amour qu’un autre châtelain, plus belliqueux encore, Bertrand de Born, devait renouveler