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ET SUR LA POÉSIE LYRIQUE.

À travers nos suppressions, ce petit monument d’ordre composite ressemble à ces œuvres d’architecture étayées et retouchées à des époques diverses. Quelques parties conservent une grâce antique : le reste a pris le faux goût de chaque mode passagère, et contracté les vices du temps. Que devenait Rome, en effet, après Auguste ? et quel ferment de poésie, quelle étincelle d’enthousiasme pouvait-elle garder, parmi les folies de la toute-puissance et les abjections de la foule ? Ce n’était pas sans doute que la passion et le luxe des arts fissent défaut dans Rome ; mais cette passion était désordonnée ; ce luxe infâme, cruel, meurtrier. Le poëte lyrique du temps, ce fut Néron, chantant du haut d’une tour la ruine de Troie, à la lueur de l’incendie qu’il avait fait allumer dans Rome. Les fureurs de ce hideux artiste plaisaient à l’imagination corrompue des Romains : et, comme jadis la pompe lyrique et musicale avait été, dans Athènes délivrée, l’inspirante apothéose des exploits héroïques, elle était aujourd’hui, dans le cirque et les jardins de César, le poison excitant de la rage et du meurtre. Car les arts qui parlent aux sens peuvent être pervertis, s’ils ne remontent sans cesse à la source divine de l’âme ; et l’image impérieuse du beau moral les protége autant qu’elle les élève. Loin de ce tumulte impur des fêtes de Néron, si l’âme poétique palpitait encore, c’était dans quelques vers obscure et mélancoliques de Perse, mort à trente ans, ou dans quelques indiscrets élans

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