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ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

ne se laissent plus voir dans une pleine lumière[1]. »

Ce triste retour convient au temps où Catulle vécut, ami de Cicéron et amnistié par César. Mais, entre les rêves sanglants de Catilina et les cruautés des Triumvirs, quelle que fût encore la jeunesse de l’idiome et du génie romain, il n’y avait guère de place pour l’enthousiasme du beau et la puissance des arts. Lucrèce, presque seul, fut inspiré et égaré par ces temps affreux, alors qu’il passait du juste mépris d’un culte aussi corrompu que ses adorateurs à la négation d’une Providence qui permettait tant de crimes, et à l’apothéose du plaisir comme seul dédommagement des misères de l’homme. Mais, pour le génie même, cette veine était étroite et bientôt épuisée. Elle pouvait entretenir, sous quelque obscur abri, le rêveur solitaire, le sage égoïste, au milieu des tumultes de la guerre ou du silence imposé par la proscription. Elle ne réveillait ni le courage actif au bien, ni la pitié pour le malheur, ni l’ambition de la gloire : elle n’aspirait point vers le ciel désert et fermé ; elle ne consolait point la terre ; elle n’était pas plus capable de courageux dévouement que d’indignation vertueuse. Par l’ordre des idées, elle ne parlait point à la foule ; par la disposition même du poëte, elle s’adressait rarement à l’âme, et ne pouvait lui donner ni passion, ni gran-

  1. Catull. Epithal. Pel. et Thet., v. 384.