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ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

surpassa l’espèce humaine et couvrit toutes les renommées de son éclat, comme le soleil dans les airs éteint toutes les étoiles. Et toi, tu craindras[1] et tu t’indigneras de mourir ! »

Certes, l’accent d’une telle voix est bien élevé ; il touche au sublime ; mais il y touche une dernière fois, pour se perdre dans le néant. Le poëte saisit une grande image terrestre ; mais il n’a plus rien au delà, et s’arrête au bord de l’infini, sans amour et sans espérance.

Ce qui manquait si fort, nous le voyons, au premier grand poëte de Rome, ce qui glaçait pour lui l’enthousiasme lyrique, pouvons-nous le trouver dans d’autres génies du même temps, nourris au milieu des mêmes corruptions, et n’ayant pas peut-être cette mélancolie mêlée de pitié qui rend si éloquent même le scepticisme de Lucrèce ? Fénelon, dans la chasteté de son âme et de son goût, a pu louer la simplicité passionnée de Catulle, et citer de lui quelques mouvements d’une poésie ravissante. Ce jeune Romain, formé aux deux écoles des Grecs, nourri de la plus belle antiquité comme de la plus fine élégance, et corrigeant Callimaque par Sapho, avait, on peut le croire, une âme meilleure que sa vie et que les mœurs de son temps. Fils d’un personnage consulaire, ami de César, il ne fut esclave ni de la puissance ni des vices du dictateur ;

  1. Lucret., L. iii, v. 1047.