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ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

s’il en avait une à me donner. Mais il reprend avec froideur, d’abord :

« On n’ajoute pas ici que, ces mêmes choses enlevées, il n’en reste pas le regret après elles. Si les hommes voyaient cela nettement et s’en appliquaient les conséquences, ils se délivreraient d’une grande angoisse de douleur et de crainte. Tel que tu es endormi par la mort, tel tu seras, dans la suite de la durée, exempt de toute douleur. Mais nous, lorsque tu seras devenu cendre, près de ton bûcher funèbre, nous te pleurerons ; et jamais le temps n’effacera ce deuil de notre âme. Il reste à demander qu’y a-t-il donc là de si amer, si tout se réduit au sommeil et au repos ? Qu’y a-t-il là, pour se consumer d’une éternelle affliction ? Ainsi raisonnent les hommes, quand, à l’alentour d’une table, souvent ils tiennent la coupe, et que, couronnant leur tête de fleurs, ils disent volontiers : Ce plaisir n’a qu’un moment pour les pauvres humains ; tout à l’heure il aura passé, et il ne sera pas permis de le rappeler jamais. »

Cette fois encore un prélude avait retenti, non pas sans doute de la lyre sacrée, mais de cette corde mélancolique et douce que devait bientôt toucher Horace avec plus d’insouciance que de triste certitude, et en égayant son âme par les douceurs de la vie sans prétendre la convaincre qu’elle doit à jamais mourir. Lucrèce, sous une inspiration moins heureuse, rompt tout à coup le charme commencé de