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ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

arts. À ce titre, le siècle d’Auguste ne fit que recueillir l’héritage de la république, dont il n’a point réellement surpassé le grand poëte et dont il n’égala point le grand orateur. À part tout ce que le temps nous a ravi des premiers siècles de Rome, à part cette suite d’orateurs, cette voix publique de Rome, dont le souvenir s’est comme enseveli sous la ruine des Institutions qu’elle avait animées, Lucrèce et Cicéron, l’ami de Memmius et l’immortelle victime d’Antoine, demeurent sur les confins de la république à l’empire, comme ces débris de quelque admirable portique, ces colonnes impérissables qui précèdent et dominent les constructions belles encore, mais plus timides, des siècles suivants.

Lucrèce, nous ne voulons parler ici que de poésie, pour la verve, la grandeur, la magnificence, demeure le premier poëte de Rome. Mais ce poëte, si puissant de séve natale et de génie, s’est formé sous l’influence de l’âge philosophique des Grecs. Il en a reçu l’incrédulité aux Dieux et la négation de l’âme spirituelle, le culte de la matière et l’indifférence sur la vertu, toutes les croyances en un mot qui sont ennemies de l’enthousiasme et devraient éteindre l’imagination comme le cœur. Que cependant l’âme de Lucrèce, que sa vive impression des spectacles de la nature et des souffrances glorieuses de Rome, que son effroi de la vie publique, son amour de la retraite et de la contemplation solitaire lui aient inspiré d’admirables accents, on ne peut le méconnaître.