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ET SUR LA POÉSIE LYRIQUE.

l’autel de Jupiter souillé du sang de Priam et les restes du roi à demi consumés, ses ossements à nu déchirés en lambeaux sur la fange sanglante. J’ai vu, j’ai souffert le supplice de voir Hector traîné à la queue d’un char à quatre chevaux, et le fils d’Hector précipité des remparts[1]. »

Ce n’est point là sans doute la tendre et touchante Andromaque de Racine, cette création mi-partie chrétienne par l’anachronisme involontaire du poëte mêlant sa religion à son art ; ce n’est pas non plus la conception un peu déclamatoire de Sénèque, celle d’une Andromaque bravant avec fierté la mort, quand elle croit avoir sûrement caché son fils dans le tombeau d’Hector. C’est quelque chose de plus tragique, la peinture des maux affreux de la guerre, et l’affliction sans terme et sans espoir.

De telles émotions, de telles images allaient bien à la rudesse romaine ; et ne nous étonnons pas si, dans un autre sujet, emprunté encore à la haute poésie de la Grèce et tout brûlant de la flamme d’Eschyle, le vieil Ennius donna parfois à ses drames la hauteur divine de l’enthousiasme lyrique. Le sujet sera pris encore d’Homère et du théâtre d’Athènes ; la pièce s’appellera du nom d’Alexandre qu’avait porté Pâris ; et là sans doute, comme dans l’Agamemnon d’Eschyle, l’héroïne du drame sera Cassandre, prophétesse, amante et vic-

  1. Cicer. Tuscul., l. iii, 19.