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ET SUR LA POÉSIE LYRIQUE.

la guerre punique. On lisait celle d’un certain Marcius, que Tite-Live appelle un devin illustre ; et, dans la citation rajeunie qu’il en fait, on peut reconnaître cette ancienne voix du sanctuaire que nous avons entendue de la bouche de Pindare. Tout est romain par l’allusion présente, mais tout est grec par le souvenir. C’était, dans la forme, un conseil prophétique, divulgué seulement après le désastre qu’il eût épargné à Rome.

« Postérité des Troyens, disait le poëte[1], fuis le fleuve et le rivage de Cannes, ô Romain. Ne te laisse pas contraindre par des étrangers à croiser le fer dans les prairies de Diomède. Mais tu ne croiras pas, avant d’avoir inondé ces plaines de ton sang, et jusqu’à ce que ce fleuve apporte des milliers de tes morts dans la vaste mer, à l’extrémité de la terre fertile, et que ta chair serve de pâture aux poissons, aux oiseaux, et aux bêtes féroces qui habitent ces terres. »

Puis, de cette réminiscence homérique appliquée si tragiquement aux blessures récentes de Rome, la même prédiction, le même texte mystérieux, passait à d’autres révélations plus consolantes :

« Romains, disait-il, si vous voulez chasser l’ennemi et ce chancre dévorant qui vous est venu de loin, il faut, c’est mon avis, consacrer des jeux qui, chaque année, se renouvellent pieusement pour Apollon, le peuple en acquittant une partie et les ci-

  1. Tit. Liv., l. xxv, c. 12.