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ET SUR LA POÉSIE LYRIQUE.

génies, dans les Héraclides, dans Ion, dans Électre ! N’essayons pas même ici d’analyser ce charme de la poésie grecque. Il suffit de quelques souvenirs, pour en rappeler la puissance. Les Chœurs d’Euripide renouvelaient pour la Grèce l’antique poésie des Homérides. Quand la flotte d’Athènes, brisée devant Syracuse, laissa tant de captifs et de blessés en Sicile, le soutien de leur vie, leur droit à l’hospitalité fut d’aller par les villes, chantant les chœurs d’Euripide. Quand Lysandre, vainqueur à la tête de nombreux alliés, voulait achever la guerre du Péloponèse par la destruction d’Athènes, au banquet même de ces ennemis implacables, des larmes de pitié furent versées, aux premières paroles chantées d’un chœur d’Euripide : « Fille d’Agamemnon, Électre ! je suis venu vers ta rustique demeure. » Enfin, l’attrait de cette poésie ne régna pas seulement sur la Grèce et sur ses colonies d’Europe et d’Afrique ; elle pénétra plus loin chez les barbares : elle leur parut le plus bel ornement de cette civilisation que saisissaient, comme une proie, les cours voluptueuses des Syriens et des Parthes. Et c’était le Chœur des Bacchantes d’Euripide qui, dans le palais de Sapor, devait un jour mêler une sorte de délire poétique à la joie des barbares vainqueurs d’une armée romaine. C’est en dire assez sur la flamme de passions diverses, depuis le patriotisme et la pitié jusqu’à la fureur, dont cette poésie lyrique de la tragédie grecque agita l’ancien monde.

Malgré le ton moins élevé de la comédie d’Athènes,