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ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

Les rares débris de ses pièces perdues nous laissent voir encore çà et là bien des effluves de ce feu lyrique dont il inondait l’âme des Grecs. Sa Trilogie des Danaïdes, qui ne nous est connue que par les Suppliantes, devait être, avec toutes les vicissitudes de la passion et de la terreur, un hymne tragique repris sans cesse. Sa Trilogie des Argonautes devait rassembler, à côté des passions humaines, toutes les puissances de la magie et de la religion, depuis les incantations de Médée jusqu’à l’avènement des dieux Cabires amenés dans la Grèce. Nul doute que, dans cette séve brûlante d’Eschyle, dans cette lave tragique coulant à pleins bords, la puissance lyrique ne dominât toujours, et sous les deux formes les plus naturelles, l’imagination et la morale, la description et la maxime.

C’était aux chœurs d’Eschyle, comme aux hymnes de Pindare, que les premiers chrétiens faisaient le plus d’emprunts, à l’appui de leur foi. L’évêque d’Antioche Théophile citait, pour inspirer la crainte de Dieu, ces vers du poëte tragique : « Tu vois la justice muette, inaperçue pendant le sommeil, le voyage, le séjour. Mais elle suit sans interruption, marchant à côté, quelquefois en arrière. La nuit ne cache pas les actions mauvaises. Ce que tu fais, songe que plusieurs dieux le voient[1]. » Bien d’autres exemples pourraient nous revenir ici. Mais, sans nous arrêter à

  1. Æschyl., fragm., p. 256.