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ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

hardiesse de la lyre ne s’est élevée plus haut. Et, si quelques traits de ce poëme furent le prétexte ou la cause de l’accusation de sacrilége intentée contre Eschyle et repoussée par son frère Aminyas, au nom de leurs blessures communes, jamais l’instinct de la conscience contre un culte faux, jamais le cri de l’humanité contre la force n’aura été plus poétique ni plus grand.

Une autre scène de ce tableau cependant, une autre épreuve de cette vie symbolique portée sur le théâtre d’Athènes, avait besoin d’un enthousiasme plus audacieux encore : c’était le Prométhée délivré. Que faut-il concevoir sous ce titre ? Était-ce une apothéose du Pouvoir par la clémence, un triomphe du génie sur la force, l’inauguration d’un âge nouveau de la Grèce affranchie des invasions barbares et embellie de monuments immortels ? On hésite, entre quelques vers épars détachés de cette œuvre perdue. Ce qui nous frappe seulement, d’après un débris conservé dans un reste de traduction latine, c’est que ce dernier Prométhée d’Eschyle présentait au plus haut degré une de ces péripéties, que réclame Aristote. « Le demi-dieu martyr[1] paraissait attaché aux pointes aiguës du rocher, comme un navire amarré contre un écueil, dans l’horreur de la nuit, entre les cris d’épouvante des matelots et le bruit retentissant de la tempête.

  1. M. Tull. Cic. Tusc. l. II, c. 10.