Page:Villemain - Essais sur le génie de Pindare, 1859.djvu/219

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
211
ET SUR LA POÉSIE LYRIQUE.

Pour qui a respiré, même sur des ruines, le souffle créateur de la Grèce, quelle doit paraître en idée la magnificence d’un tel spectacle, la grandeur et la succession de ces trois états de la vie humaine personnifiés dans un témoin immortel ! et si, dans la pensée du poëte, cette fiction était l’image des combats que soutient ici-bas la vérité contre la violence, si le Prométhée d’Eschyle représentait l’être supérieur qui se dévoue pour éclairer les hommes, qui d’abord en porte la peine, sous la torture des fers et de l’inaction, puis est délivré, reprend son œuvre et la voit accomplie ; si l’enseignement moral de cette gradation tragique paraissait tellement vraisemblable que plus d’un père de l’Église a cru pouvoir, sans profanation, reconnaître dans les souffrances de Prométhée un type précurseur de celles du Christ, quelle ne devait pas être l’illusion pathétique de ces trois drames humains, dans leur ensemble et leur péripétie dernière !

Quel chant de triomphe et de gloire, quel rayon de poésie et d’espérance, quelle aube d’un jour céleste levée sur la Grèce d’Europe et d’Asie devaient animer les chœurs du Prométhée porte-flamme ! Quant à la grandeur passive du Prométhée enchaîné, quant à la fiction qui forme l’intérêt de ce drame immobile, nous n’avons rien à conjecturer : l’œuvre originale est sous nos yeux ; et il nous est donné de sentir, dans cette œuvre extraordinaire, à la fois l’enthousiasme de l’hiérophante et la raison élevée du philosophe. Jamais la

14.