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ET SUR LA POÉSIE LYRIQUE.

dans l’idée que ses ennemis mêmes ont de sa liberté ! Quel oubli de tout, hormis l’orgueil de la patrie commune et la joie de sa gloire, dans cette distraction du poëte qui met le mot de barbares à la bouche même des Perses, comme se reconnaissant une race inférieure et vaincue !

Alors se renouvelle, ce qu’Athènes ne pouvait jamais assez entendre, le myriologue, l’élégie funèbre de ses ennemis sur eux-mêmes[1] : « Ô roi Jupiter ! maintenant, de ces Perses à la tête altière, aux bataillons nombreux, tu as détruit l’armée : tu as couvert des ténèbres du deuil la ville de Suse et celle d’Ecbatane. Bien des femmes de leurs faibles mains déchirent leurs voiles, mouillent leur sein de larmes, dans la douleur qu’elles partagent.

Les Persanes en pleurs, souhaitant de voir l’hymen récent de leurs maris et les tissus moelleux de leur couche, plaisirs de la gracieuse jeunesse désormais perdus pour elles, se consument de gémissements sans fin ; et moi, je célèbre, comme je le dois, le sort lamentable de ceux qui ont déjà péri.

Maintenant, toute la terre d’Asie gémit dépeuplée. Xercès les a emmenés, hélas ! Xercès les a perdus. Xercès a tout conduit follement pour ses flottes.

Était-ce ainsi qu’autrefois Darius fut pour les citoyens un chef irréprochable, un chef aimé de Suse ?

  1. Æschyl. Pers., p. 60 et seq.