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ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

ont abouti souvent la fausse imagination et la fausse science ; mais il semble, au contraire, malgré les éloges de Lucrèce, que le poëte d’Agrigente était spiritualiste au plus haut degré dans sa Cosmogonie comme dans sa morale. Sa peinture des grossiers essais de formation échappés aux seules forces de la nature était le démenti d’une semblable origine pour l’homme ; et on peut supposer que c’est contre une telle erreur qu’il proteste dans un des plus poétiques débris qui nous restent de ses vers :

« Mais, ô dieux[1], écartez de ma langue la folie de ces hommes, et faites sortir pour moi de quelques bouches saintes des eaux salutaires. Et toi, Muse aux mille souvenirs, vierge aux bras blancs, je sollicite de toi ce qu’il est permis d’apprendre dans cette vie passagère. Envoie vers moi, sous la conduite de la piété qui le guide, un char docile, etc. » Puis, s’animant à cet espoir d’un appui céleste et d’une vérité descendue d’en haut, le poëte disait tout à la fois dans un esprit de confiance et de doute : « Ose, et alors tu pourras librement courir sur les hautes cimes de la sagesse. Mais considère et touche du doigt le côté certain de chaque chose ; et, pour avoir vu de tes yeux, ne te confie pas plus que pour avoir toi-même entendu : ne crois pas un vain bruit plus que le raisonnement, ni quoi que ce soit, là où il y a place

  1. Emped. Agrig., ed. Sturz., p. 528.