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ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

Le grand et durable renom du poëte donna tant d’éclat à cette tradition anecdotique qu’elle suggéra, dans le déclin du génie grec, la composition de sophiste la plus étrange, un recueil de lettres dans lequel l’impitoyable Phalaris, tout en étalant ses vengeances, y compris le taureau d’airain enflammé où il brûlait ses victimes, se montre plein d’admiration pour Stésichore, déclare ce poëte un objet sacré, comble d’honneurs sa vieillesse, et, à sa mort, presse les Himériens de lui élever un temple[1].

On reconnaît bien, dans cet ouvrage apocryphe, l’illusion de l’esprit grec, dans le dernier âge de l’antiquité. À la même époque, les Romains, à la fois instruments et victimes du pouvoir absolu, connaissaient mieux la haine instinctive que ce pouvoir porte au génie des lettres. La mort du poëte Lutorius, du poëte Lucain, de Sénèque, de l’historien Crémutius Cordus, et les nombreux exils de ces philosophes dont une femme romaine, Sulpicia, décrit la persécution, avertissaient Rome qu’il n’y a rien de plus antipathique au despotisme militaire que la liberté de penser.

C’était vers ce temps que l’esprit énergique et curieux de Pline l’Ancien s’était réduit à composer un livre de grammaire, un traité sur les façons de parler douteuses. Ce n’était pas le moment d’imiter ni d’interpréter, à Rome, la poésie généreuse et virile de l’an-

  1. Phal. Epist. ed. Walck., p. 150, 276.