Page:Villemain - Essais sur le génie de Pindare, 1859.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
135
ET SUR LA POÉSIE LYRIQUE.

peuple, par imprévoyance, tombe sous l’oppression d’un seul.

— J’avais donné au peuple le pouvoir qui lui suffit, n’abaissant et n’élevant trop personne. À ceux qui avaient la force et primaient par la richesse, j’avais prescrit d’éviter tout excès. Je couvrais d’un bouclier chacun des deux partis ; et je ne laissais d’injuste victoire ni à l’un ni à l’autre. »

Quelque singulier que puisse paraître à la rudesse d’un autre temps ce pouvoir modérateur exercé par la poésie, il faut bien le reconnaître dans Solon quand on le voit attesté par l’histoire. Le peuple athénien, ayant perdu l’île de Salamine dans une guerre malheureuse, avait défendu, sous peine de mort, tout écrit et tout discours qui en proposerait de nouveau la conquête. Solon, comme s’il eût prévu de quel appui et de quelle gloire Salamine serait un jour pour Athènes, vient, non pas comme un poëte, mais comme un malade dont l’esprit est troublé, sur la place publique ; et, bravant une loi tyrannique, il commence par ces paroles célèbres : « Je viens, messager de l’aimable Salamine, avec le chant pour parure à mes paroles, en guise de harangue. » Et, sans être interrompu, il récite en cent vers un appel aux Athéniens, qui se terminait par ce cri de guerre[1] : « Allons à Salamine combattre pour la possession de cette île ai-

  1. Plut. in Sol. § viii.