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ET SUR LA POÉSIE LYRIQUE.

Gallus, un Catulle, rapportaient de Grèce et d’Égypte. Mais cette gloire poétique n’est plus qu’un symbole ; il ne reste de ce génie que quelques lettres éparses de l’inscription brisée sur son tombeau perdu. Et n’est-ce pas le triomphe de la beauté de l’art que si peu de paroles si fortuitement sauvées suffisent pour assurer un immortel souvenir ?

Le même prodige de célébrité se renouvelle pour un autre nom que nous a transmis la Grèce. Le rhéteur le plus docte et le plus froidement technique de l’âge des Antonins, Denys d’Halicarnasse nous a conservé quelques strophes passionnées de Sapho ; et l’éloquent Longin n’a trouvé nulle poésie supérieure à ces vers d’une femme qu’Aristote avait nommée à côté d’Homère et d’Archiloque.

Platon, ce qui étonne davantage, avait voulu voir en elle un sage autant qu’un poëte ; et, quand il lui donnait ce nom de dixième et dernière Muse, qu’une flatterie banale a répété pour tant d’autres bouches gracieuses, sans doute l’idée de quelque chose de divin, dans l’union du talent et de la beauté, s’attachait pour lui à cette expression ; et, plus tard, chez d’autres écrivains moins curieux de l’art et de la forme, on sent que le même nom réveille le même souvenir d’admiration idolâtre et de culte mystérieux. On dirait que Sapho était devenue pour l’imagination grecque un symbole où apparaissaient, à leur plus haut degré, la grâce, l’enthousiasme et le génie de la femme.