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l’intérêt attaché à la seule grandeur de ses pensées.

Faut-il parler de Montesquieu lui-même, lorsque le temps et l’admiration ne peuvent suffire à l’examen de ses écrits ? Que dire des grâces de son esprit à ceux qui ont lu ses ouvrages ? La simplicité piquante, la malice ingénieuse de sa conversation ne se retrouve-t-elle pas dans la défense qu’il fut obligé d’opposer aux détracteurs de son plus bel ouvrage ? Et toutes ses vertus ne sont-elles pas renfermées dans une anecdote touchante, aussi connue que sa gloire ? Ce qui reste de lui, après les œuvres de son génie, c’est leur immortelle influence : la reconnaître et la proclamer, ce serait moins achever l’éloge de Montesquieu qu’entreprendre le tableau de l’Europe.

Oui, sans doute, ce beau système qui, suivant Montesquieu, fut trouvé dans les bois de la Germanie, appartient à tous les peuples qui sortirent il y a quinze siècles de ces forêts, aujourd’hui changées en royaumes florissants. Il est un des plus fermes remparts contre la barbarie ; il est la sauvegarde de l’Europe. De grands périls semblaient la menacer ; on a pu quelquefois être tenté de croire qu’elle touchait à cette époque fatale qui termine les destinées des peuples, et ramène sur la terre de longs intervalles de barbarie, d’où renaît lentement une civilisation nouvelle ; mais cette première terreur se dissipe. L’Europe ne ressemble pas à l’empire romain. Les lumières plus grandes sont aussi plus communes : l’Europe les a distribuées dans l’univers. Partout sont des colonies qui nous renverraient la civilisation que nous leur avons transmise. L’Amérique est peuplée de nos arts. Nos arts eux-mêmes sont défendus par une invention qui ne leur permet pas de périr : une seule découverte a garanti toutes les autres. La corruption peut s’accroître : le renouvellement du monde paraît impossible. De quel point de la terre partirait la fausse lumière d’une religion nouvelle ? Quelle puissance préten-