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Que d’instruction dans ces belles et prévoyantes paroles ! Elles rendent justice au siècle de nos aïeux ; elles prédisaient ce que nous avons souffert ; elles nous apprennent. à user de notre heureuse délivrance. Les mœurs ne gouvernent plus l’Europe, les traditions se sont effacées, les usages ont disparu, l’opinion a tout changé[1]. Sur les débris de ces mœurs, de ces coutumes dont le retour deviendrait la plus difficile de toutes les innovations, et qui ne seraient plus assez puissantes pour tenir la place des lois, il faut donc élever les lois elles-mêmes.

Cette pensée n’a pas été comprise, lorsqu’on voulait tout détruire ; elle avait offensé ceux qui voulaient tout conserver. S’il peut arriver un temps où les esprits plus calmes cherchent à relever l’ordre social, n’écouteront-ils pas celui qui ne fut entendu ni par le préjugé ni par la fureur ? Le système monarchique expliqué par Montesquieu a changé de forme, et tontes les idées de ce grand homme, plus fortes qu’une seule de ses opinions, combattent les institutions dont il a défendu l’existence, mais qui ne peuvent renaître. Il reste d’autres lois qui ont aussi l’autorité de son génie, lois qui ne sont pas la propriété d’un seul peuple, et qui, modifiées par les temps et les lieux, serviront désormais de fondement à toute liberté sociale. Oui, sans doute, lorsque Montesquieu traçait avec de si fortes couleurs le tableau d’un peuple libre après tant <)e calamités et de discordes, il instruisait tous les peuples a profiter de leurs révolutions ; et il donnait d’avance le remède à des maux qu’il n’avait point préparés.

Dans un ouvrage où sont traités les intérêts du genre humain, on craindrait presque de remarquer ces beautés qui parlent surtout à l’imagination du lecteur et servent à la gloire de l’écrivain. Et cependant, sans compter ce

  1. Voir à la fin de l’Éloge, note H.