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Cette Angleterre dont Montesquieu avait analysé l’admirable constitution, lui présente un nouvel aspect dans les mœurs de ses habitants, qui sont une partie de leur liberté. De la même main dont il décrit des antiques nations de la Chine, esclaves de leurs manières comme un peuple libre doit l’être de ses lois, liées par leurs usages comme par autant de fils innombrables qui les attachent au despotisme, mais qui arrêtent et enveloppent la conquête, il peint les mœurs, les coutumes ; les passions et les vices particuliers d’un peuple libre, où la liberté est invincible, parce qu’elle est partout ; originale et sublime peinture, dans laquelle les faits, paraissant l’inévitable conséquence des principes, sortent de la pensée de l’auteur, autant que de la vérité de l’histoire.

Le lien de tous les peuples, c’est le commerce. En multipliant les relations, les besoins et les vices, il exige plus de lois que n’en produit le principe même du gouvernement. Tout à la fois instrument et gage de liberté, il est repoussé ou envahi par le despotisme ; il se développe sous l’abri des monarchies ; il anime, il soutient les États libres ; et, par un contraste bizarre, il fait aujourd’hui sortir de l’intérêt tous les sacrifices que l’antiquité demandait à la vertu. Les révolutions du commerce, qui tiennent à celles du monde, la navigation, qui a civilisé et agrandi l’univers, l’argent, signe de la civilisation et premier ressort des États modernes, voilà les points de vue qui s’ouvrent au législateur. Il semble que son génie, après avoir pénétré dans l’intérieur de chaque État, a besoin d’embrasser à la fois tous les temps et tous les lieux ; et dans l’activité du commerce, il voit d’un seul coup d’œil le mouvement du genre humain.

La population décroît et s’augmente dans un rapport nécessaire avec les institutions politiques, de manière que les mœurs paraissent aussi puissantes que la nature