Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/81

Cette page n’a pas encore été corrigée

à tous les peuples civilisés à respecter et à perfectionner leurs lois ; il ne néglige pas même les lois des peuples barbares ; il les explique, et quelquefois les défend pour enseigner à toutes les nations une loi plus haute et plus sacrée, la tolérance.

Un grand homme, parmi les talents qu’il développe, est toujours dominé par une faculté particulière que l’on peut appeler l’instinct de son génie. Les lois étaient pour Montesquieu cet objet de préférence, où se portait naturellement sa pensée. Il n’a pas cherché dans cette étude un exercice pour le talent d’écrire. Il l’a choisie parce qu’elle était conforme à toutes les vues de son esprit ; il a tenté de l’approfondir, enfin, parce qu’une sorte de prédilection involontaire l’y ramenait sans cesse. C’était l’œuvre de son choix, c’était la méditation de sa vie ; et, malgré les censures de la haine ou de la frivolité, ce fut le plus beau titre de sa gloire. On s’étonne d’abord des immenses souvenirs qui remplissent l’Esprit des Lois ; mais il faut admirer bien plus encore ces divisions ingénieusement arbitraires, qui renferment tant de faits et d’idées dans un ordre exact et régulier. Peut-être au premier abord supposerait-on plus de génie dans un homme qui, sans s’arrêter aux lois positives, tracerait, d’après les règles de la justice éternelle, un code imaginaire pour le genre humain ; mais cette idée, réalisée par un Anglais célèbre[1], est plus extraordinaire que grande. Quoique les lois positives soient quelquefois inconséquentes et bizarres, elles résultent de rapports nécessaires. Leur existence est une preuve de leur utilité relative : les lois que conserve un peuple sont les meilleures qu’il puisse avoir ; et la pensée de renouveler sur un seul principe toutes les législations de la terre serait aussi fausse qu’impraticable ; mais les con-

  1. Bentham.