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son admiration pour ces antiques et naïves beautés. Un siècle nouveau succède, aussi fameux que le précédent, plus éclairé peut-être, plus exercé à juger, plus difficile à satisfaire, parce qu’il peut comparer davantage cette seconde épreuve n’est pas moins favorable à la gloire de Montaigne. On l’entend mieux, on l’imite plus hardiment ; il sert à rajeunir la littérature, qui commençait à s’épuiser ; il inspire nos plus illustres écrivains ; et ce philosophe du siècle de Charles IX semble fait pour instruire le dix-huitième siècle.

Quel est ce prodigieux mérite qui survit aux variations du langage, aux changements des mœurs ? c’est le naturel et la vérité : voilà le charme qui ne peut vieillir. La grandeur des idées, l’artifice du style ne suffisent pas pour qu’un écrivain plaise toujours. Et ce n’est pas seulement de siècle en siècle, et a de longs intervalles, que le goût change et que les ouvrages éprouvent des fortunes diverses : dans la vie même de l’homme, il est un période où, détrompés de ce monde idéal que les passions formaient autour de nous, ne sachant plus excuser des illusions qui ne se retrouvent plus dans nos cœurs, perdant l’enthousiasme avec la jeunesse, et réduits à ne plus aimer que la raison, nous devenons moins sensibles aux plus éclatantes beautés de l’éloquence et de la poésie. Mais qui pourrait se lasser d’un livre de bonne foy[1] écrit par un homme de génie ? Ces épanchements familiers de l’auteur, ces révélations inattendues sur de grands objets et sur des bagatelles, en donnant à ses écrits la forme d’une longue confidence, font disparaître la peine légère que l’on éprouve à lire un ouvrage de morale. On croit converser ; et comme la conversation est piquante et variée, que souvent nous y venons à notre tour, que celui qui nous instruit a soin

  1. Expression de Montaigne.