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mœurs ; et les grands hommes naissent de la constitution de l’État. A l’intérêt d’une grandeur toujours croissante, il substitue ce triste contraste de la tyrannie recueillant tous les fruits de la gloire. Une nouvelle progression recommence ; celle de l’esclavage précipitant un peuple à sa ruine par tous les degrés de la bassesse. On assiste, avec l’historien, à cette longue expiation de la conquête du monde ; et les nations vaincues paraissent trop vengées. Si maintenant l’on veut connaître quelle gravité, quelle force de raison Montesquieu avait puisées dans les anciens, pour retracer ces grands événements, on peut comparer son immortel chef-d’œuvre aux réflexions trop vantées qu’un écrivain brillant et ingénieux du siècle de Louis XIV écrivit sur le même sujet. On sentira davantage à quelle distance Montesquieu a laissé loin de lui tous les efforts de l’art et du bel esprit dont il avait d’abord dérobé toutes les grâces. Dans la Grandeur et la Décadence des Romains, Montesquieu n’a plus l’empreinte de son siècle ; c’est un ouvrage dont la postérité ne pourrait deviner l’époque, et où elle ne verrait que le génie du peintre.

Tout entier dominé par ses études, l’auteur a pris le génie antique, pour retracer le plus grand spectacle de l’antiquité. Ce génie est mâle, quelquefois mêlé de rudesse : on croit voir une de ces statues retrouvées parmi les ruines, et dont les formes correctes et sévères étonnent la mollesse de notre goût. Telle est la simplicité où Montesquieu s’élève par l’imitation des grands écrivains de Rome. Son âme trouve des expressions courageuses, pour célébrer les résistances et les malheurs de la liberté, les entreprises et les morts héroïques. Il est sublime en partant de vertus que notre faiblesse moderne peut à peine concevoir. Il devient éloquent à la manière de Brutus.

Rien n’est plus étonnant et plus rare que ces créations du génie qui semblent ainsi transposées d’un siècle à