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pas à connaître. Le digne historien de la république romaine, Tite-Live, trop frappé de la gloire de sa patrie, avait négligé d’en montrer les ressorts toujours agissants, comme s’il eut craint d’affaiblir le prodige en l’expliquant.

Tacite, qui, suivant l’éloge que lui a donné Montesquieu, abrégeait tout parce qu’il voyait tout, Tacite n’a pas essaye de voir l’empire romain. Il a borne ses regards à un seul point de cet immense tableau. Il n’a montré que nome avilie. Il n’a pas même expliqué cet inconcevable esclavage qui vengeait l’univers ; et, quoiqu’il ait rendu service au genre humain en augmentant l’horreur de la tyrannie, il a fait un ouvrage au-dessous du génie qu’il montre dans cet ouvrage même.

Un seul écrivain de l’antiquité, un Grec, regardant l’empire romain qui marchait à la conquête du monde d’un pas rapide et régulier, avait averti que ce mouvement était conduit par des ressorts cachés qu’il fallait découvrir. Un homme qui avait porté la force de son génie sur une foule d’études diverses, pour les subordonner à la théologie, et qui semblait, en parcourant toutes les connaissances humaines, les conquérir au profit de la religion, Bossuet examina la grandeur romaine avec cette sagacité et cette hauteur de raison qui le caractérisent ; mais, préoccupé d’une pensée dominante, attentif à nue seule action dirigée par la Providence, l’origine et l’accomplissement de la foi chrétienne, il ne regarde les Romains eux-mêmes, il ne les aperçoit dans l’univers que comme les aveugles instruments de cette grande révolution, à laquelle tous les peuples lui paraissent également concourir. Cette pensée qui l’autorisait, pour ainsi dire, a ne pas expliquer des effets ordonnés d’avance par une volonté irrésistible et suprême, ne l’a pas empêché d’entrer dans les causes agissantes de la grandeur romaine ; et telle est pour un homme de génie l’évidence et la réalité de ces causes,