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rester immuables et entières. On les altère en les touchant. Les idées sont pour l’homme un essai continue ! de sa force, même dans ses erreurs. Les croyances, lorsqu’elles ne sont plus révérées, deviennent importunes par les sacrifices ou les vertus qu’elles commandent. Les idées n’imposent pas d’aussi pressants devoirs ; elles éclairent, sans retenir. Rarement elles passent dans les actions, parce qu’elles ne sortent pas de la conscience. Le sophisme les dénature, la violence les falsifie ; on les voit céder quelquefois si honteusement et si vite, qu’on s’effraye de la faiblesse morale d’un peuple qui n’aurait que des idées au lieu de vertus.

L’ordre politique se compose aussi de croyances, si l’on peut donner ce nom à toutes les opinions formées par le temps et l’habitude. Le clergé, la noblesse étaient des croyances que Montesquieu, dans sa jeunesse, attaqua par des plaisanteries, et que plus tard il défendit par le raisonnement. Car les grands génies, placés entre le mouvement de leur siècle et leur raison, reviennent quelquefois sur leurs pas, et s’efforcent de soutenir des institutions dont ils ne conçoivent l’utilité qu’après les avoir eux-mêmes ébranlées.

Cet effet presque inévitable de la réflexion et de la maturité explique la différence qui se trouve entre Montesquieu soumis à t’influence de son siècle, et Montesquieu discutant les lois de tous les peuples, entre la frivolité dédaigneuse des Lettres persanes et la sage impartialité de l’Esprit des Lois.

L’influence contemporaine qui se montre dans les opinions de Montesquieu, je la retrouve tout entière dans quelques écrits échappés de sa plume. Les images libres et philosophiques du Temple de Gnide sont un sacrifice au goût d’un siècle sentencieux et poli. On serait quelquefois tenté, plus que lie t’aurait voulu l’auteur, de croire