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faisant un assez bon ouvrage, qu’en critiquant avec esprit tous les mauvais livres qui se font autour de vous. La haute critique qui s’exerce sur la théorie des beaux-arts et sur le génie des écrivains anciens ou étrangers, pourra se perfectionner encore. L’époque où les sources de l’invention commencent à tarir, où la composition originale s’épuise, fut toujours celle où l’on raisonna le plus ingénieusement sur les productions des siècles créateurs. Puisse seulement la critique littéraire ne pas envahir tout le domaine des lettres ! Honneur et reconnaissance aux esprits plus hardis, qui, malgré le génie de nos prédécesseurs et la satiété de notre siècle, s’exposent à produire encore, et qui, dans les diverses carrières du talent, perpétuent le difficile mérite de l’invention ! Écrivains justement célèbres, qui honorez votre siècle, et vous qui devez l’honorer un jour, attendez-vous à rencontrer sur votre passage la contradiction et l’envie ; mais il y a deux réponses qui triomphent de tout : le silence et un nouvel ouvrage. Les hommes cèdent toujours à la persévérance du talent. La critique impartiale éclaire et devance l’opinion la critique injuste ne peut l’être toujours, ou du moins elle cesse d’être dangereuse, elle se corrige ou se décrédite : on l’écoute encore ; mais on n’y croit plus.

Pour nous, jeunes écrivains, dont les faibles commencements n’inquiètent personne, ne nous flattons pas trop vite de mériter des envieux. Malgré la règle commune, il peut arriver qu’on soit médiocre et sévèrement critiqué. Défions-nous de notre orgueil avant de soupçonner l’injustice d’autrui. L’amour des lettres ressemble à toutes les passions ; il aveugle, il égare, il nous fait illusion sur nous-mêmes et sur les autres ; il prend l’ardeur de ses vœux pour la mesure de ses forces ; il s’indigne d’être arrêté dans son cours, et souvent il a besoin