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quelquefois d’une grâce ingénieuse, pour célébrer un talent qui bientôt allait finir, dont les beautés s’étaient agrandies, et dont les défauts mêmes, conservés sous les glaces de l’âge, devenaient une singularité incorrigible et piquante.

Ainsi, Messieurs, les hommes supérieurs, lorsqu’ils sont assez sages pour ne pas s’engager dans ces interminables querelles où l’envie s’aigrit encore du poison de la haine, voient enfin tous les contemporains consentir à leur gloire. Les talents qui, dès leur début, éveillent la critique par de grandes beautés, et qui, moins courageux ou moins féconds, ne la font pas taire par une succession rapide d’efforts et de triomphes, se ressentent plus longtemps d’une première injustice ; mais l’envie désarmée par leur repos leur pardonne aussi. La médiocrité sage et laborieuse est ordinairement ménagée ; car elle n’effraie pas ; comme elle ne doit pas s’avancer loin dans la carrière, on la laisse passer sous la garantie de sa faiblesse. Quelle que soit donc l’injustice de la critique, elle afflige plus les hommes de lettres qu’elle ne peut leur nuire. C’est un abus sans doute que le droit de Damer appartienne à des juges souvent intéressés et inhabiles ; mais le danger de cet abus s’est affaibli par son excès même. On a vu tant d’hommes de talent insultés, tant d’écrivains sans mérite pompeusement célébrés, que tes termes ont beaucoup perdu de leur force réelle. La critique contemporaine gardera toujours les abus qui lui sont essentiels, l’exagération et le caprice. Plus il y aura de bons écrivains, moins elle sera puissante ; elle ne prescrira jamais contre le vrai talent. Considérée généralement, elle n’exercera sur le goût qu’une influence incertaine et passagère. Quelques hommes pourront la manier avec supériorité, mais ils auront tort de s’y condamner. Vous serez plus utile, vous profiterez mieux de vous-même, en