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elle leur ôtera la cause ou le prétexte de leurs ressentiments. Car enfin l’homme critiqué mal à propos n’est pas insulté ; une remarque fausse mais polie n’est pas un affront. Quel que soit votre dépit intérieur, vous ne pouvez vous plaindre d’une observation sur votre ouvrage, comme d’une plaisanterie contre vous. Personne ne partagerait l’exagération de vos plaintes ; et la critique, avec un peu d’habileté, aurait le plaisir d’être injuste, en ayant l’air d’être modérée.

Il est aussi pour l’homme de lettres une sage et noble vengeance, c’est de mépriser l’injustice, de compter sur son talent, et d’en multiplier sans cesse les titres ; il y gagnera du temps et de la gloire. Puis-je oublier ici la touchante leçon que présente la vie du grand poëte, dont nous avons vu les derniers feux s’éteindre, et jeter en mourant une si vive lumière ? Sa longue carrière, marquée par tant de succès, ne fut pas respectée de l’envie. Quelles opiniâtres censures avaient poursuivi son premier chef-d’œuvre ! Combien de fois elles se renouvelèrent ! Et quand il fallut enfin céder à la renommée, avec quelle obstination artificieuse on s’efforça longtemps de borner le talent de M. Delille par les prodiges même de son art, et d’admirer beaucoup ses vers, pour mieux l’exclure du grand nom de poëte ! Mais le poète continua de chanter d’une voix plus forte, plus flexible et plus sonore. Il avait écouté la critique sans colère et sans dédain, il en avait souri ; et, ce qui n’est pas moins rare, il en avait quelquefois profité. Pendant que la critique examinait sévèrement ses fautes brillantes, sa verve longtemps exempte de vieillesse enfanta des beautés plus fières et plus hardies. On combattit, mais on céda. Le nom de M. Delille se vit environné de l’admiration des hommes de lettres, ceux dont la justice est toujours la plus prompte et la plus sûre. La critique perdit son amertume et sa rigueur, et se para