Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/55

Cette page n’a pas encore été corrigée

communes et odieuses ; l’usage en avait commencé par la censure exagérée du dix-huitième siècle. Toutes les accusations morales accumulées sur cette grande époque tournaient au profit de la critique. L’injustice avait l’air d’un saint zèle ; on eût dit que c’était un bienfait public de découvrir ou même d’imaginer des fautes de toute espèce dans ces écrivains supposés si coupables.

Il faut convenir au contraire que la nécessité d’examiner chaque jour le produit de chaque mois réduit souvent le critique à des sujets stériles et ingrats. II est triste et embarrassant d’analyser les idées d’un homme qui n’en a pas. Les critiques usèrent trop vite le riche fonds que leur avait laissé le dix-huitième siècle. La rigueur avec laquelle ils jugeaient les grands hommes de cette époque leur inspirait naturellement pour les contemporains une inexorable sévérité. On aurait eu mauvaise grâce à demander plus de ménagement que n’en obtenaient Montesquieu et Rousseau. Quelques hommes de talent résistèrent à l’injustice ; quelques autres, pour éviter ou pour combattre la critique, se mirent à l’exercer. On aimait mieux écrire un morceau que d’entreprendre un ouvrage. La littérature passa presque dans les journaux : ce mélange n’a pas duré ; mais, depuis cette époque, le ton de la critique s’est élevé, et par une influence qui s’est conservée jusqu’à nos jours, le goût et le style ont paru dans ces compositions rapidement écrites, et quelquefois trop promptement oubliées. Je ne sais si quelques critiques ont formé jamais un système réfléchi d’exclusion et de dénigrement universel. Ce serait une faute politique ; car enfin les critiques n’existent qu’a l’occasion des auteurs ; ils règnent dans une littérature affaiblie ; mais si la littérature était détruite, ils tomberaient avec elle. Cependant il est possible, il serait affligeant que des talents supérieurs aient gardé trop longtemps un silence involontaire, qu’une juste fierté