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serve la justesse et la clarté. Souvent il me présente l’image de cette critique, à l’œil sévère et juste, que Voltaire plaçait à la porte du temple, dont lui-même était le véritable dieu.

La Harpe poursuivait le mauvais goût avec une sorte de haine ; et, comme la passion inspire le talent, il trouvait quelquefois dans sa colère une heureuse énergie ; mais sa véritable gloire sera toujours d’avoir proclamé le génie de quelques-uns de nos grands hommes. Je ne sais en effet si dans les lettres, après l’honneur de produire des beautés originales, il est un titre plus noble que de les admirer avec éloquence, d’en expliquer les merveilles, d’en augmenter le sentiment, d’en perpétuer l’imitation. La Harpe, qui n’avait pas assez de force pour recevoir, pour saisir puissamment la première inspiration, s’anime et s’échauffe par le reflet des grandes beautés qu’elle a produites. Cette éloquence, que peut-être il n’eut pas tirée de lui-même, il la trouve en admirant Britannicus ou Zaïre. On regrette que cet écrivain, qui fut souvent l’interprète du goût, se soit emporté a des censures et même a des accusations violentes jusqu’au ridicule : il avait été faible ; il fut exagéré. Après La Harpe, on écrivit, encore sous la dictée des intérêts et des passions. Je ne veux pas désigner les contemporains ; ce serait me donner, du moins a leur égard, la mission de critique, et sur un point difficile et dangereux. Je suppose même qu’il y eut des injustices involontaires ; mais le critique doit être, comme l’historien, éloigné de toute passion, de tout intérêt, de tout parti. Il doit juger les talents bien plus que les opinions. Je sais que la censure des opinions, celle de toutes qui touche le plus près à la personne, présente un intérêt de malignité presque aussi puissant que la calomnie. Mais les arbitres du goût peuvent-ils envier la charge d’inquisiteurs ? C’est un emploi trop délicat, où les méprises sont