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vrai talent. Marmontel, voulant réunir et augmenter les fragments littéraires qu’il avait donnés à l’Encyclopédie, publia ses Éléments de littérature, et, quelques années après, La Harpe commença son Lycée. L’ouvrage de Marmontel, quoiqu’il renferme les noms et quelquefois la censure de plusieurs contemporains, appartient entièrement à cette haute critique qui n’est que la théorie raisonnée des beaux-arts. La forme de l’ouvrage ôte une grande difficulté et une grande beauté, la liaison, l’ordonnance. Il y a des paradoxes. L’auteur rencontre souvent des idées fausses, parce qu’il cherche trop les idées neuves ; mais il présente beaucoup d’instruction, et ses erreurs font penser.

La Harpe était né pour la critique ; son talent s’est augmenté dans l’exercice de sa faculté naturelle. Mais a-t-il embrassé le vaste plan qu’il s’était proposé ? Jette-t-il un coup d’œil hardi sur l’essence des beaux-arts ? A-t-il des vues fines et profondes ? La connaissance de l’homme, des mœurs, de l’histoire, lui sert-elle à éclairer l’étude des lettres ? Est-il autre chose qu’un élégant démonstrateur de vérités connues ? Non ; et cependant il a été et sera longtemps fort utile. H fallait à cette époque un esprit conservateur. La Harpe n’avait pas assez médité les anciens ; mais il en parle avec une vérité d’enthousiasme qui se communique, avec une admiration persuasive. Sans avoir la raison supérieure, la philosophie, la méthode de Quintilien, placé comme lui dans des jours de décadence, il a défendu les droits de la langue et du goût. Lorsqu’il reparut dans la tribune littéraire, à la fin des troubles politiques, ses idées justes, ses théories simples et vraies, son style pur, facile, abondant, devaient réussir et plaire, après la longue confusion du bon sens, comme de tout le reste. Presque toujours il commente les principes de Voltaire ; et s’il en émousse la vivacité piquante, il en con-