Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/52

Cette page n’a pas encore été corrigée

s’était fort répandu. Après l’avoir toléré, tout en le combattant par ses railleries et ses exemples, il avait fini par en être importuné, et par le craindre pour l’avenir. A mesure que cet homme qui avait mis tant d’opinions en mouvement, ouvert tant de routes, et jeté partout un esprit d’inquiétude et d’innovation, s’approchait de son déclin, l’anarchie s’augmenta. La fureur d’écrire entassait d’insipides et barbares productions : quelquefois elles surprirent de honteux succès.

Parmi quelques esprits éclairés et délicats qui semblaient terminer la gloire de ce siècle mémorable, et qui ne sont pas tous perdus pour le nôtre, deux hommes, par les circonstances et par le caractère de leurs études, parurent plus particulièrement appelés au rôle d’arbitres du goût et de juges littéraires : tous deux disciples de Voltaire s’étaient trompés en le suivant sur la scène tragique ils manquaient de génie. Marmontel jouissait de l’honneur d’avoir fait quelques productions piquantes dans le genre qui lui coûta sans doute le moins d’efforts. Il avait beaucoup d’esprit ; mais il en abusa d’abord pour se former des erreurs systématiques, auxquelles il renonçait avec peine. Son goût était plus réfléchi qu’inspiré ; et l’on sait que, même pour juger, la méditation est moins sûre que le sentiment naturel. La Harpe, à la fois dénué de hardiesse et de profondeur, se distinguait par la pureté du goût, la sagesse du talent, et s’était heureusement élevé jusqu’à l’éloquence tempérée. Dans la composition originale, il paraissait fixé sans retour au second rang, et ne montrait qu’une seule qualité de l’écrivain supérieur, cette noble élégance, dont il anima l’éloge de Fénelon et les plaintes de Mélanie. Ces deux hommes de lettres avaient exercé la critique des journaux ; et sans éviter l’exagération qui nous en paraît inséparable, leurs feuilles étaient en général consacrées à l’éloge et souvent à l’apologie du