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au maintien de leurs prétentions, surtout quand elles occupent une grande place dans leur vie, et qu’elles leur coûtent de grands efforts. L’écrivain n’a qu’une prétention, qu’une espérance, qu’une passion, l’estime des autres hommes. Il la poursuit au prix de travaux pénibles, auxquels tous les esprits n’ont pas droit d’atteindre ; il la poursuit avec plus d’ardeur que de sagesse ; voilà sa force et son excuse : et cependant, lorsqu’il est troublé dans la possession de ce droit, et, si vous voulez, de cette erreur, on s’étonne de son indignation et de ses plaintes. Mais quels sont ces hommes si calmes et si patients sur les injures d’autrui, qui tolèrent volontiers la persécution du talent ? Quel est ce juge rigoureux, qui ne peut se défendre d’une invincible prévention contre les écrivains de son siècle, qui ne conçoit pas qu’on puisse exagérer la critique, et ne croit pas a l’injustice, parce qu’il ne croit pas au mérite ? Ce sera quelque homme d’esprit, qui n’a pu s’élever jusqu’à la médiocrité du talent, et qui cache sa faiblesse et ses regrets sous le faste impitoyable de ses dédains. Ce sera quelque lecteur plus sévère qu’habile, qui se fait dénigrant par politique, et condamne d’abord, de peur d’être exposé a l’embarras de juger ; ce sera quelque esprit frivole et tranchant qui blâme au lieu de lire, et ménage il la fois son amour-propre et sa paresse ; enfin, ce sera quelque esprit systématique, qui, depuis une époque fixée, ne lit plus, ne veut plus lire, ne veut plus qu’on écrive, demeure convaincu que la littérature est anéantie sans retour, méprise le présent, tue l’avenir, imagine qu’il est impossible d’avoir encore du talent et du goût, et tire toutes ses preuves de lui-même. Voilà les adversaires que l’homme de lettres rencontre même dans le monde ; voilà les fauteurs indiscrets de la critique injuste et passionnée. Mais, loin des échos de la sottise, le bon goût garde en réserve un petit nombre d’esprits éclairés qui se commu-