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silence de son génie, la seule vengeance que le grand homme peut tirer de ses injustes contemporains ? L’inspiration des succès, voilà ce qui réellement anime le grand écrivain par le besoin toujours croissant de surpasser ses premiers efforts, d’atteindre toute la portée de son talent, que lui seul il connaît ; enfin de se justifier à soi-même sa gloire, sur laquelle il est peut-être plus difficile qu’un autre.

On peut le croire, sans faire tort à l’envie, Racine, quand il n’eût pas reçu d’elle de si pénibles encouragements, aurait trouvé dans les conseils de l’amitié, dans les anciens, dans lui-même, des forces et des beautés nouvelles. Mais pourquoi discuter ainsi ? Peut-on, sans un regret amer, songer que ces hommes, qui feront éternellement l’honneur et les délices du monde civilisé, que ces aimables enchanteurs, qui, par la passion et l’harmonie, agitent si doucement les âmes, que ces véritables rois de la pensée humaine, qui savent l’éclairer en la charmant, et l’ennoblir en l’éclairant, furent malheureux par leur gloire et pour nos plaisirs ; qu’ils ont jeté des regards inquiets et douloureux sur les chefs-d’œuvre que nous adorons, qu’ils se sont repentis de leur génie, que peut-être ils en ont douté ; et qu’ébranlés par les cris de cabales ignorantes et envieuses, ils ont eux-mêmes trempé dans l’injustice de leurs censeurs, et sont morts en se défiant de cette postérité, qui ne manque jamais aux grands hommes ? Vainement les accusera-t-on d’une sensibilité excessive : c’est une vérité vulgaire, que l’alliance de cette délicatesse trop irritable avec les mouvements et les illusions du génie. Un homme médiocre peut avoir un sot orgueil ; mais il est impossible qu’un homme doué de quelque talent n’ait pas l’âme fière, sensible, impatiente du mépris. L’étude des lettres même lui donnerait ce caractère. Et vous, qui l’en blâmez, voyez tous les hommes, quel prix ils attachent