Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/48

Cette page n’a pas encore été corrigée

avouons cependant que dans les belles époques de notre littérature, elle n’exerça aucune grande et salutaire influence ; quand elle était sage, elle n’était pas piquante ; le public le veut ainsi. En général, on n’aime pas à lire une dissertation sur le mérite d’autrui. Les hommes ont quelque peine à croire qu’un homme de leur siècle, un homme fait comme eux, qu’ils voient, qu’ils entendent, ait un talent supérieur ; ils s’ennuieraient à la démonstration d’une si fade vérité. On souffre avec plus de patience de voir des prétentions humiliées, des talents contestés, des hommes d’esprit tournés en ridicule, si jamais ils peuvent t’être. Cependant, je voudrais qu’on essayât une critique absolument impartiale, sans complaisance et sans rigueur. A tout prendre, comme cette critique impartiale serait encore assez méchante, peut-être réussirait-elle : c’est une expérience à faire.

Il est un préjugé, c’est que la critique même la plus injuste ne nuit point aux lettres. Qu’importe, dira-t-on, les petites blessures de l’amour-propre humilié si l’auteur a du talent, la persécution doit l’animer ; nos plus grands écrivains ont subi cette épreuve ; ils en ont profité. Boileau le disait à Racine. Oui, sans doute, et c’était une noble et ingénieuse consolation à présenter au grand homme découragé, que l’espérance de voir son génie s’accroître par les tourments de sa vie. Mais pourquoi fallait-il alors consoler Racine ? Les hommes n’ont-ils rien de mieux que le blâme et l’envie pour animer les progrès du talent ? Si quelquefois une âme fière et indignée remonte par l’effort même qui devait l’abaisser, combien de fois le ressentiment pénible de l’injustice n’a-t-il pas jeté dans l’inaction et l’oubli des talents faits pour la gloire Racine lui-même, las de combattre la haine et de peur de l’augmenter encore, n’a-t-il pas arrêté le cours de ses chefs-d’œuvre dans la force de l’imagination et de l’âge, exerçant ainsi, par le