Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/47

Cette page n’a pas encore été corrigée

geait trop souvent à la dignité de la morale et de l’histoire. Une critique si modérée aurait aujourd’hui des lecteurs ; mais la justice ne produit point de scandale : et, pour beaucoup de gens, le scandale est un succès. Frëron l’obtint ; abondamment pourvu d’idées communes, écrivant facilement d’un style médiocre, il imprima deux cents volumes de critique, dont le but principal est Voltaire. Beaucoup d’écrivains aujourd’hui célèbres y sont injuriés par diversion. Ce n’est pas que ce recueil ne renferme un nombre prodigieux d’éloges ; il y paraît successivement une foule de grands hommes, dont personne ne connait les ouvrages. Mais il semble qu’une pareille indulgence, loin d’être une compensation de tant d’injustices, est un double affront fait au talent, et par la rigueur absurde des critiques, et par la ridicule prostitution des louanges.

Voltaire rencontra d’autres adversaires. Le besoin de leur répondre a grossi la collection de ses œuvres ; on peut leur pardonner ; c’est un des services que la critique injuste rend au public. Le gazetier ecclésiastique n’a pas arrêté le succès de l’Esprit des Lois ; mais il nous a valu le dernier chef-d’œuvre de Montesquieu, son Apologie, modèle dont Voltaire aurait du quelquefois imiter la raillerie bienséante et l’amertume sagement tempérée. Je m’arrête ici de peur d’être injuste je n’ai désigné que des abus nombreux ; ne s’y mêle-t-il aucun avantage ? Je l’avoue, un homme passionné peut dire la vérité ; un plat écrivain peut dénoncer son semblable. Enfin, la critique même la plus chagrine est obligée de choisir un objet d’admiration, ne fût-ce que par malignité ; et quelquefois elle place bien sa préférence, pour se couvrir d’un acte de justice. Quel est le détracteur qui, dans l’exagération de ses reproches, ne révèle pas quelque défaut véritable ? S’il faut parler des avantages, lorsqu’ils disparaissent sous de nombreux abus, proclamons l’utilité de la critique. Mais