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la variété de ses réflexions et de ses études. Mais son caractère ardent et mobile ne lui permit pas de garder l’invariable impartialité du critique. Quelquefois, en censurant de prétendus rivaux, il parait trop se souvenir d’une insultante comparaison ; et sa sévérité est une vengeance. Au reste, il est difficile peut-être de lui reprocher les injustices qu’il laisse échapper, en songeant à celles qui tourmentèrent sa vie. suffit d’un succès pour se faire plusieurs ennemis : l’homme qui, dans la confiance de ses talents, aspire à l’universalité des succès, ne semble-t-il pas appeler sur lui toutes les haines de l’innombrable médiocrité, que partout il écrase, sans la voir ? Voltaire a soutenu cette lutte par l’ascendant du génie qui l’avait fait naître. Ses détracteurs n’ont obtenu qu’une sorte d’immortalité grotesque, qu’il leur a libéralement distribuée dans ses ouvrages. C’est qu’aucun d’eux n’était digne de le juger. Cette tacite pouvait honorer un véritable critique ; mais il aurait fallu commencer par des hommages d’équité trop pénibles. il fallait d’abord proclamer Voltaire le conservateur du goût, le représentant de la poésie française dans son siècle, le créateur d’une prose originale, trois titres qu’un autre homme n’a point réunis. Après ce début, la critique devenait instructive et légitime. A cet écrivain d’un goût si pur, si ami du simple et du vrai, malgré tant d’esprit, on pouvait reprocher une censure quelquefois irréfléchie et injuste de l’antiquité classique, et même de cette autre antiquité qui commence avec le siècle de Louis XIV. Voltaire, grand poëte par le style et la passion, poëte de génie, passant avec un égal bonheur des grâces de la poésie légère à l’énergie de la verve théâtrale, n’avait pas porté dans sa riche élégance assez de précision et d’audace. Enfin, cette prose neuve et sans imitateurs, incomparable dans tous les genres où la familiarité est une grâce, quelquefois éloquente, en sortant du badinage, déro-