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affectent le goût, en manquent souvent ; ils évitent les écarts et les fautes ; mais, incapables d’un vrai sublime ou d’une noble simplicité, ils ont recours à des agréments froids et recherchés, qui ne valent pas mieux que des fautes, et sont plus contagieux, parce qu’ils sont moins choquants.

N’êtes-vous pas, me dira-t-on, trop libéral envers le critique ? avec l’amour passionné des lettres, qui selon vous renferme plusieurs vertus, vous lui accordez encore la science, le goût, le talent ; c’est-à-dire, je les lui demande. Je veux reporter sur les critiques la sévérité qu’ils exercent, et reculer si fort pour eux le point de perfection, que, par frayeur, ils deviennent plus modestes, et qu’ils respectent aussi la difficulté de leur art. Cicéron se plaignait de ne trouver nulle part le parfait orateur ; peut-être no trouverait-on pas davantage le parfait critique, même en cherchant parmi les écrivains célèbres. Le sage et élégant Addison fit servir la critique à son plus noble usage, à la gloire du génie ; mais il ne présente aucune vue originale dans l’examen du plus extraordinaire de tous les poëmes ; il juge Milton par Aristote : et le défaut d’invention se fait sentir jusque dans sa manière d’admirer des idées neuves. L’ingénieux La Motte avait le véritable langage, et, pour ainsi dire, les grâces de la critique. Sa censure est aussi polie que sa diction est élégante ; il ne lui manquait que d’avoir raison. Mais il se trompa d’abord en attaquant les anciens, et plus encore en défendant ses vers. Personne n’a porté plus loin que Voltaire la netteté du style, mesure ordinaire de la justesse des idées. Personne ne fut favorisé d’un instinct plus délicat, et ne naquit avec plus de goût. Sa raison était mûre dès la jeunesse ; et son imagination fut toujours vive. Il avait sur la littérature d’autant plus de lumières et d’idées qu’il ne s’en était pas uniquement occupé, et qu’il pouvait y rapporter