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son côté suppose et voit ce qu’il désire. Le public approuve également ces deux méthodes. En effet, c’est un double avantage de se voir autorisé dans ses vieilles admirations, et dispensé d’en adopter de nouvelles. Le sacrifice une fois fait, le consentement une fois donné, on y tient par amour-propre ; et par amour-propre aussi, on n’aime pas à recommencer en faveur d’un autre. Je sais bien que cette répugnance n’est que trop justifiée ; c’est même un hommage que l’on doit au talent, de ne pas y croire facilement, et de se défier des premières promesses ; mais à la défiance doit succéder la justice. Quelquefois, il est vrai, cette justice est hors de la portée des critiques. Il est une supposition qui ne peut se présenter que dans les commencements d’une grande époque littéraire, celle d’un ouvrage où le génie de l’auteur va plus loin que les lumières de la critique, où il a plus fait qu’elle ne peut juger. En effet, la critique éclairée ne saurait exister que longtemps après les bons ouvrages, qui l’instruisent et la forment elle-même. A l’époque où le premier chef-d’œuvre paraît, elle n’est pas encore préparée ses erreurs viennent de l’ignorance autant que de la passion ; mais lorsque les grands écrivains, une fois établis par la force du temps et de la vérité, ont instruit la critique, alors elle puise dans l’étude et l’admiration de ces premiers modèles un art plus réfléchi d’apprécier leurs successeurs. De là cette longue opposition à la renommée de Voltaire ; les rigoureuses censures qui accueillirent tous ses ouvrages, et cet éternel procès de sa réputation, qui, jugé depuis longtemps, n’est pas encore fini.

Les sentiments de l’Académie sur le Cid sont le modèle naissant de la saine critique. Il est surtout honorable que des gens de lettres défendent l’écrivain qui les doit effacer, contre le ministre tout-puissant qui les favorise.