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qu’en les égalant. Nous ne devons pas perdre de vue cette grande et noble critique ; mais elle n’est pas l’objet véritable de ce discours. Il s’agit surtout d’apprécier cette critique inférieure et détaillée qui mêle quelques avantages à beaucoup d’abus, telle enfin que la justice ou la malignité contemporaine l’exerça toujours sur les productions du talent littéraire.

L’imprimerie, cette heureuse découverte des siècles modernes, qui rendit la pensée populaire, et multiplia l’instruction et la sottise, rendit aussi la critique plus indispensable et plus fréquente. D’abord, il devint si aisé de répandre un libelle, que les hommes mécontents et jaloux ne se refusaient plus le plaisir de le composer. Après un siècle écoulé dans l’accroissement prodigieux des livres nouveaux, on eut besoin de choisir ; et d’équitables censures pouvaient éclairer sur le choix ; malheureusement les bons ouvrages étaient presque toujours les seuls contre lesquels la critique voulait prémunir les lecteurs. Pendant vingt années on écrivit en Italie pour démontrer que la Jérusalem était un mauvais poëme. Le Tasse vivait. Depuis, la critique n’a plus travaillé que pour le mettre avant ou après l’Arioste. En Espagne les critiques contemporains ont méprisé Cervantes ; les critiques modernes l’ont placé tout près de Virgile et d’Homère.

En général, la critique a deux caractères bien différents, selon qu’elle s’exerce sur les vivants ou sur les morts. Son adresse ou son triomphe consistent à savoir blâmer les uns, à savoir louer les autres, à contester les réputations contemporaines, à légitimer les anciennes renommées. Ici le plus spirituellement injuste est aussi le plus habile ; là au contraire le plus adroit panégyriste semble toujours le meilleur critique ; l’un désire des fautes, l’autre des beautés ; et quelquefois chacun de