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ne trouvaient point de pensées neuves cherchèrent dos expressions heureuses. A défaut de vastes conceptions, il fallut perfectionner les détails. On mit de l’esprit dans le style : les écrivains du second ordre en firent leur principal ornement ; et les grands écrivains n’en dédaignèrent pas l’usage. Champfort ne brille que par l’esprit qu’il montre dans son style ; Montesquieu en laisse beaucoup apercevoir dans le sien.

Mais ce mérite qui, bien éloigné d’être le premier de tous, exige du moins beaucoup d’art et d’étude, il est assez extraordinaire de le trouver au plus haut degré dans Montaigne, placé à une époque presque barbare, et maniant une langue dépourvue de grâce et de souplesse.

Comment cet écrivain si naturel et si négligé connaît-il déjà tout le jeu des paroles, ces nuances fines et subtiles, ces rapprochements délicats, ces oppositions piquantes, ces artifices de l’art d’écrire, et, pour ainsi dire, ces ruses de style, auxquelles on a recours lorsque le siècle de l’invention est passé ? En les employant quelquefois avec la délicatesse de Fontenelle, ou la malice de Duclos, il ne perd jamais la naïveté qui forme le trait le plus marqué de son caractère et de son talent ; et, par un mélange difficile à concevoir, mais très-réel, on trouve souvent en lui la simplicité de l’antique bonne foi et la finesse de l’esprit moderne. Pour expliquer ce problème d’un auteur qui réunit dans sa manière d’écrire celles de plusieurs siècles, il suffit de se souvenir qu’il avait devant les yeux les divers âges de la littérature latine, et les étudiait indifféremment : il a dû nous deviner plus d’une fois, en imitant Pline le jeune. Dos phrases vives et coupées, des bons mots, des traits, des épigrammes, convenaient d’ailleurs très-bien dans un style décousu, qui, comme le dit l’auteur lui-même, ne va que par sauts et par gambades. Le désordre est souvent pénible : il faut du moins qu’il y ait