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thètes accumulées, si féconde en développements oratoires et poétiques, se resserrer tout à coup dans les bornes du plus rigoureux laconisme, et ne plus employer les paroles que pour le besoin de l’intelligence. Cet art d’être court, sans ôter rien à la justesse et à la clarté, semble une des perfections du langage humain : c’est au moins un des avantages que les langues obtiennent avec le plus de peine et le plus tard, après avoir été longtemps travaillées en tous sens par d’habiles écrivains.

Il est encore un autre mérite qui semblerait au premier coup d’œil tenir à l’écrivain beaucoup plus qu’à l’idiome, et qui cependant ne se montre guère que dans les langues épurées et polies, dont il devient en quelque sorte le dernier raffinement ; c’est l’esprit. Quel sens faut-il attacher a ce mot, ou plutôt en combien de sens divers est-il permis de t’entendre ? Qu’est-ce que l’esprit ? Voltaire lui-même, après en avoir prodigué les exemples, désespère de le définir et d’en indiquer toutes tes formes. Toutefois, il est permis d’avancer que l’esprit, quel qu’il soit, se réduisant presque toujours à une manière de parler délicate, fine, détournée, se produit avec plus d’avantage à mesure que les ressources d’une langue sont plus variées et mieux connues. Au commencement du siècle de Louis XIV, quelques hommes écrivaient avec génie ; le reste ne couvrait le manque de génie par aucun agrément ; et la sentence de Boileau se trouvait de la plus rigoureuse exactitude :

Il n’est pas de degré du médiocre au pire.

Dans le siècle suivant, la littérature se rendit plus accessible il fut permis d’être médiocre, sans être méprisable ; et la faiblesse ornée avec art put mériter quelque estime. Ceux qui ne pouvaient atteindre aux grandes beautés composèrent ingénieusement de petites choses. Ceux qui