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d’expressions proverbiales que les livres empruntaient à la conversation, l’abondance des termes et la facilité de les employer tous sans blesser la bienséance, tant d’autres libertés que nous avons remplacées par des entraves, favorisaient l’écrivain, et donnaient au style un air d’aisance et d’enjouement qui charme dans les sujets badins, et pourrait offrir un amusant contraste dans les sujets sérieux. Cependant la langue française n’avait encore réussi que dans les joyeusetés folâtres. Ronsard égarait son talent par une imitation maladroite des langues anciennes ; et Amyot n’avait pu rendre que par une heureuse naïveté la précision énergique et l’élégance audacieuse de Plutarque. Il nous est donc permis de dire avec Voltaire : ce n’est pas le langage de Montaigne, c’est son imagination qu’il faut regretter. Je ne dissimulerai pas cependant que ces expressions d’un autre siècle, ces formes antiques et, pour ainsi dire, ce premier débrouillement d’une langue, aujourd’hui perfectionnée peut-être jusqu’au point d’être affaiblie, présentent un intérêt de curiosité qui peut inviter à la lecture. Mais l’emploi si naturel, les alliances si hardies, les effets si pittoresques de ces termes surannés ; ces coupes savantes, ces mots pleins d’idées, ces phrases où, par la force du sens, l’auteur a trouvé l’expression qui ne peut vieillir, et deviné la langue de nos jours, voilà ce que l’on admire dans Montaigne, voilà ce qu’il n’a pas reçu de son idiome encore rude et grossier, mais ce qu’il lui a donné par son génie.

L’imagination est la qualité dominante du style de Montaigne. Cet homme n’a point dc supérieur dans l’art de peindre par la parole. Ce qu’il pense, il le voit ; et par la vivacité de ses expressions, il le fait briller à tous les yeux. Telle était la prompte sensibilité de ses organes, et l’activité de son âme. 11 rendait les impressions aussi fortement qu’il les recevait.